Pour une construction en contreplaqué de qualité

Lorsque à la fin des année 1980, j'ai crée mon bureau d'étude, la construction en contre-plaqué était devenue confidentielle avec la disparition des chantiers qui fabriquaient en série avec ce matériau : STEPHAN, CRAFF, AUBIN… Ce matériau qui avait fait la notoriété d'architectes tel que VAN DE STADT, AMIET, HERBULOT ou HARLE serait-il soudainement devenu obsolète ? A cette époque, après l'éphémère vogue du ferrociment, le matériau de prédilection des constructeurs amateurs était l'acier, les programmes "hauturiers", et la taille adéquate : 12 mètres. Mon premier plan "professionnel" fut naturellement un 12 m 40 en acier, le JPV 41, qui fut construit à deux exemplaires qui naviguent actuellement en famille autour du monde et font le bonheur de leur propriétaire respectifs (comme quoi tous les goûts sont dans la nature). J'étais plus attiré par le contre-plaqué, matériau que j'avais déjà eu l'occasion de travailler de mes mains en concevant et réalisant moi-même à dix huit ans un croiseur de 7.30 mètres, une erreur de jeunesse, selon certains, mais qui m'a appris… ce qu'il ne fallait pas faire, et qu'il me restait beaucoup à apprendre.

Mon principe a toujours été le suivant : "si tu travailles pour des amateurs, tu dois pouvoir répondre à leurs questions et donc ne pas te disperser mais te spécialiser dans un matériau pour commencer. Ensuite, tu aimes le travail du bois mais tu n'es pas menuisier, encore moins charpentier de navire. Il te faut donc apprendre à dessiner ce que tu serais toi-même capable de réaliser, tant au niveau du gros œuvre que des finitions". Depuis j'ai certes appris, mais je n'arrête pas d'apprendre, que ce soit auprès de vrais professionnels (il existe en des charpentiers de marine), ou d'amateur astucieux. Enfin j'ai fait porter mes recherches sur une réelle simplification de la mise en ouvre, dans la mesure où elle ne nuit ni à la solidité, ni à la sécurité, ni à la beauté du bateau. Surtout pas de compromis ! Ce savoir accumulé au fil des ans, j'ai pu le communiquer à travers la revue Loisirs Nautiques qui m'a ouvert ses colonnes et se trouve rassemblé dans le hors série numéro 27.

Le JOJO 9,20 mètres, "bateau de voyage pour un couple", a donc été le premier d'une série de croiseurs, innovant je pense, destinés à la construction amateur totale ou partielle en contre-plaqué, série comprenant actuellement quinze modèles différents de 5.50 à 12 mètres, et qui décidément ne veulent pas vieillir, le 44ème JOJO vient d'être livré en Suisse. Cette gamme comprend aussi bien des croiseurs côtiers que de véritables croiseurs hauturiers robustes et performants, qui ont démontré que le contre-plaqué pouvait servir efficacement des programmes de navigation au long cours. Quinze modèles en quinze ans (non compris les plans à l'unité dans d'autres matériaux), c'est peu, mais c'est le prix à payer pour concevoir des modèles réellement aboutis, ne rien laisser dans l'ombre, ni de place pour l'improvisation, réaliser des plans soignés et détaillés (les plus complets du marché aux dire de certains), prendre le temps d'expliquer et rester disponible.

Travailler pour des amateurs, est donc contraignant, guère lucratif mais passionnant. Il me semble indispensable que les architectes ou constructeurs souhaitant œuvrer dans ce secteur en aient bien conscience. Il s'agit d'un milieu de passionnés où le bouche à oreille fonctionne bien, qui vous accorde sa confiance et avec qui on se doit d'être honnête. En maîtrisant parfaitement un matériau, on peut exploiter au mieux ses qualités mais aussi connaître ses défauts (car il n'y a pas de produit "miracle") et chercher à y palier car il y a généralement des solutions pour les minimiser. Faire abstraction de ces inconvénients peut non seulement conduire à des erreurs de conception magistrales, mais aussi leurrer et décevoir un utilisateur. Par contre, mettre en garde sa clientèle sur les inconvénients ou les problèmes auxquels elle devra faire face lui permettra d'être mieux armé pour les résoudre et elle vous en saura gré.

La contre partie, au travail, à la lucidité et la disponibilité de l'architecte, est de participer au bonheur des gens, mais aussi la satisfaction de voir parfaitement se concrétiser le fruit de ses réflexions. En construction bois les réalisations amateurs sont souvent plus réussies que bon nombre d'unités professionnelles. Il y a, à cela plusieurs raisons, tout d'abord le matériau lui-même, sans doute le plus agréable à travailler, sa noblesse, sont côté "naturel", sa bonne odeur, sa sensualité au toucher. Ensuite, bien souvent, son procédé de fabrication dont chaque stade apporte de réelles satisfactions (j'ai vu des constructeurs d'unités en Contre-plaqué repousser d'une semaine la pose des bordés pour "pouvoir jouir encore de la beauté de la charpente équerrée -cela ne s'invente pas). En outre, je vous livre ce constat de mon confrère l'architecte DUGARDIN : "Au contraire des autres matériaux, c'est avec les mêmes outils et les mêmes gestes que l'amateur va réaliser sa coque et ses aménagements". Enfin parce qu'ils prennent le temps de réfléchir, ou de réaliser parfaitement un assemblage, ce qui n'est pas toujours compatible avec les impératifs d'un chantier naval qui doit produire vite (d'où la nécessité d'une main d'œuvre qualifiée qui saura aussi produire "bien"). C'est MOITESSIER je crois qui disait, "construire un bateau c'est aussi savoir prendre le temps de s'asseoir devant et de griller un cigarette". Faites attention aux risques d'incendie avec certaines résine tout de même !

Bref, avec le bois, on a affaire à des passionnés pour qui la construction amateur n'est pas uniquement le moyen de réaliser une substantielle économie, avec un prix de l'ordre de 30 à 50 % du prix "chantier" : se faire plaisir à réaliser de ses mains son propres bateau entre pour une bonne part dans leur motivation. Pour cela, il faut que le bateau en vaille la peine et justifie d'inévitables sacrifices. Façonner un bel objet, que le bateau soit bon, mais aussi qu'il soit beau ! Le rôle du concepteur est de donner au constructeur néophyte les moyens des sa réussite. Faire simple certes, mais pas simpliste car l'objectif n'est pas de faire une caisse mais un bateau dont on puisse légitimement fier. Cela est essentiel, et explique pourquoi la plupart de mes clients construisant des unité de 10 mètres et plus, optent pour des pont lattés en teck : la facilité et la rapidité ne semblent pas être leur préoccupation majeure ! Ce qui est essentiel à leurs yeux lorsqu'ils se lancent dans une construction c'est de savoir s'ils auront la capacité de la mener à bien. Face à cette attente on peut avoir deux attitudes : jouer la carte de l'incompétence et simplifier à l'excès avec comme conséquence un résultat insatisfait, ou dire je vais faire de vous de vous de bons constructeurs en vous expliquant les quelques techniques ou tours de main qu'il est nécessaire d'acquérir et ce type de mise en œuvre ne présentera plus de réelles difficultés puisqu'il s'agit plutôt d'une succession de tâches répétitives. Bien évidemment il est vraisemblable que le néophyte passera une heure à réaliser le tracé et la découpe de sa première encoche d'encastrement de lisse, mais la centième, tout aussi parfaite, ne lui prendra que quelque secondes.

Alors vive le bois, la liberté, l'imagination, le talent des constructeurs, sans oublier les BOUCHAINS VIFS.
Jean-Pierre Villenave
Architecte Naval