Je ne peux pas donner de dates précises sur cette croisière, le journal de bord est resté sur le bateau à Almerimar. Toutefois elle a débuté début juillet, à Lagos, au Portugal. Il reste peu de côte portugaise à explorer avant l’Espagne, mais elle est très belle. Notre première découverte, Alvor, est une ria dont la passe est bien protégée par deux digues modernes portant des feux. L’intérieur est merveilleusement resté en l’état. Pas de balisage pour rejoindre le mouillage d’Alvor. La navigation est délicate, la marée basse découvre de larges bancs de sable et il est nécessaire d’observer les bateaux locaux pour comprendre où est le passage. Malgré cela nous nous sommes échoués au retour. Nous avons pu vérifier que le Corto se pose gentiment sur le flanc si on lui propose un lit de sable fin et qu’il reprend sa flottaison à la marée suivante sans le moindre souci. Il faut dire qu’on a débarqué les béquilles à Lagos puisque nous ne sommes plus très loin de la Méditerranée. L’escale d’Alvor est très agréable, nous avons même suivi la finale de la coupe du monde de foot dans un café. Quelle ambiance avec les Portugais pour le Brésil et les autres touristes pour la France. Notre croisière sous le soleil se poursuit par Portimao, Albufeira et Faro. Les passes de Faro sont assez délicates à franchir, la mer est assez agitée et il faut tenir compte de la marée qui engendre un fort courant. Toute la côte qui précède est un long ruban sablonneux qui semble malsain. Par contre derrière les passes c’est une véritable mer intérieure et un long chenal balisé nous conduit aux portes de Faro. Pas de port pour la plaisance mais un mouillage très sûr en bout de l’aérodrome. Il n’y a que trois ou quatre bateaux de passage. En dehors d’un jour de grand frais le reste du temps nous avons souffert de la chaleur à cause du manque d’air à l’intérieur des terres. L’île d’Olhao, à l’opposé de Faro est l’île des pêcheurs, à visiter aussi. 

Départ tôt le matin en direction de Cadiz, Cadiz la belle, la fière sur sa presqu’île, derrière des remparts. Le port de plaisance " Puerto America " à l’extrémité de la presqu’île offre beaucoup de places libres pour abandonner le bateau et visiter cette ville qui vaut le déplacement. Les rues sont étroites et animées, certaines couvertes de tissus blancs. Toute la ville rappelle son histoire, nous sentons bien que l’Afrique du Nord n’est qu’à quelques milles de là. Encore une escale trop courte mais déjà Gibraltar occupe nos esprits et Barbate sera le port de départ pour franchir le détroit. En fait le soir se regroupent les bateaux qui veulent passer le lendemain, ce qui permet d’échanger les dernières informations ou conseils. Le détroit n’est pas à prendre à la légère, les courants y sont forts et avec du vent soutenu ils peuvent lever une mer dangereuse. Au large de Tarifa il y a une zone appelée " le cimetière des mâts... " Il est donc sage de s’arrêter à Barbate pour prendre la dernière météo et choisir les meilleurs courants. Attention, à l’arrivée à Barbate il y a un très long système de flotteurs jaunes balisé aux extrémités à éviter absolument. Le lendemain c’est la procession dans le détroit. Nous passons avec une mer de demoiselle et profitons au maximum du paysage. " Tu vois, Jérémy, droit devant c’est Gibraltar, à gauche l’Europe, à droite l’Afrique... " Belle leçon de géographie. 

Gibraltar, c’est la fin d’un continent et le décor s’y prête. La masse imposante du Rocher se détache loin sur la plaine et la mer qui l’entourent. Silhouette reconnaissable entre toutes que les anciens Grecs prenaient déjà pour l’une des deux colonnes d’Hercule. Plusieurs marinas s’offrent à nous et suivant les conseils de notre copain Hollandais avec qui nous naviguons de conserve depuis Cadiz, nous choisissons celle qui est à l’intérieur de port marchand. Subitement nous sommes propulsés en Angleterre, une Angleterre dont les frontières ont tout à coup rétrécit au lavage mais qui a gagné en relief. La cité massée au pied des falaises offre d’abord l’architecture d’une ville de garnison. Des entrepôts, des bastions, des canons partout et un port que l’on dirait endormi. Au-delà de la jetée, quelques cargos et des pétroliers restent immobiles dans la rade. Tout au fond la brume laisse parfois entrevoir l’Afrique. Trois jours pour visiter la ville, le rocher et ses singes, les fortifications de la dernière guerre. Trois jours de découvertes totales. Des bancs de brume s’accrochent au sommet du Rocher et quelquefois descendent à la surface de la mer comme le jour de notre départ. Après deux essais, espérant que le soleil allait reprendre le dessus, nous nous lançons à l’aveugle dans la purée de pois. Notre navigation s’est faite entièrement au radar entre les multiples bateaux marchands au mouillage et jusqu’à Sotogrande tout ce que nous avons vu a été vu sur le scope du radar. La côte qui suit ne comporte pas d’abris naturels, il faut rentrer tous les soirs dans des marinas où le béton est roi. Les ports sont nombreux et séparés de courtes distances. Le beau temps et la chaleur sont toujours au rendez-vous! 

La croisière va se poursuivre jusqu’à Almerimar, grand port de plaisance quelques milles avant Alméria qui est un excellent havre pour laisser un bateau en hivernage. L’information nous avait été donnée par des équipages qui avaient hiverné là pendant quelques mois avant de reprendre la route vers l’Atlantique et les alizés. Sur cette fin de parcours si je devais vous donner un tuyau ça serait certainement une adresse de restaurant. Le Tintero sur la plage de Malaga, est l’un des restaurants les plus populaires de la ville. C’est la version espagnole de la guinguette, une certaine idée de la démesure en plus. Comme huit cents autres personnes, en famille, de la grand-mère au petit dernier, nous prenons place autour d’une grande table. Bière pression servie en pots, tinto de verano (vin rouge et limonade) à pleins pichets, il fait soif. L’air sent la mer, la friture et le charbon de bois. Sur un immense barbecue, un régiment de sardines grillent en rangs serrés, spécialité maison, comme bien d’autres poissons et fruits de mer. Les serveurs émergent de la cuisine en file pressée avec leurs plateaux lourds d’assiettes empilées. Ils courent dans les rangées, proposant en criant "  cazon en abodo, calamaritos, pulpitos... ". Si un mets vous tente, il suffit de tendre le doigt, il arrive aussitôt. Plus tard, l’addition sera simple : le nombre d’assiettes vides multiplié par un prix unique d’assiette, il en va de même pour les pichets de bière ou sangria. Les garçons qui s’occupent des additions ne font que cela, il n’y a pas d’attente, on mange très bien pour pas cher, on est heureux d’être à table, mais il ne faut craindre le bruit!... Nous sommes en Espagne...

Kaly Ana


En passant Gibraltar

Eté 1998